Vux de bonne humeur
Les TL y auront certainement pensé d’eux-mêmes : ce 1er de l’an est le jour opportun pour citer ce Propos d’Alain.
« Tous ces cadeaux, en temps d’étrennes, arrivent à remuer plus de tristesses que de joies. Car personne n’est assez riche pour entrer dans l’année nouvelle sans faire beaucoup d’additions ; et plus d’un gémira en secret sur les nids à poussière qu’il aura reçus des uns et des autres, et qu’il aura donnés aux uns et aux autres, pour enrichir les marchands (...). L’obligation gâte tout. Et en même temps les bonbons de chocolat chargent l’estomac et nourrissent la misanthropie. Bah ! Donnons vite, et mangeons vite ; ce n’est qu’un moment à passer.
Venons au sérieux. Je vous souhaite la bonne humeur. Voilà ce qu’il faudrait offrir et recevoir. Voilà la vraie politesse qui enrichit tout le monde, et d’abord celui qui donne. Voilà le trésor qui se multiplie par l’échange. »
Alain, Propos sur le bonheur, LXXX, « Bonne année » (2 janvier 1910)
Un mot d’explication, pour ceux qui n’ont pas étudié la doctrine d’Alain : il s’attache à remédier à tous les malheurs imaginaires que les hommes s’infligent, en étant les jouets de leurs passions. Les passions sont ces émotions vécues passivement, qui proviennent des variations des dispositions du corps, qu’Alain appelle les humeurs.
Si on reste passif, l’imagination amplifie ces dispositions corporelles, suscitant une mauvaise humeur qui va en s’aggravant, et contamine l’entourage.
« La vie en commun multiplie les maux. Vous entrez dans un restaurant [par exemple dans un état de tension parce que vous ne pouvez plus y fumer ;-)]. Vous jetez un regard ennemi au voisin, un autre au menu, un autre au garçon. C’en est fait. La mauvaise humeur court d’un visage à l’autre ; tout se heurte autour de vous ; il y aura peut-être des verres cassés, et le garçon battra sa femme ce soir. Saisissez bien ce mécanisme et cette contagion ; vous voilà magicien et donneur de joie ; dieu bienfaisant partout. Dites une bonne parole, un bon merci ; soyez bon pour le veau froid ; vous pourrez suivre cette vague de bonne humeur jusqu’aux plus petites plages [c’est un tsunami bien plus réjouissant] ; le garçon interpellera la cuisine d’un autre ton, et les gens passeront autrement entre les chaises ; ainsi la vague de bonne humeur s’élargira autour de vous, allégera toutes choses et vous-même. Cela est sans fin. Mais veillez bien au départ. Commencez bien la journée, et commencez bien l’année. » (Ibid.)
Il ne s’agit pas d’attendre passivement que la bonne humeur vienne, au hasard ou par l’obtention d’un bien particulier. C’est un acte de volonté : on a à décider de la façon dont on se représente les événements du quotidien, pour choisir par quel côté on veut les prendre.
C’est pourquoi en vous souhaitant une excellente année, je vous souhaite le plus grand courage possible : votre volonté dépend de vous, et votre bonne humeur aussi.
C’est valable pour votre travail de l’année à venir, bien sûr, mais aussi pour toutes les autres activités de votre existence. Et puisque dire bonjour ou bonne année à quelqu’un relève du même principe, je vous souhaite de vouloir vivre de très bons moments !