Art et philosophie : une autre perception

Publié le par Sébastien Mallet

 
La réflexion de Merleau-Ponty sur le statut de la perception en général et de la perception cinématographique en particulier trouve des correspondances dans ce texte de Bergson.
 
Leurs deux philosophies sont toutefois bien distinctes ; vérifiez d’ailleurs que vous avez bien saisi la thèse de Merleau-Ponty en relevant dans ce texte ce qui s’en rapproche et ce qui s’en distingue.
 
« Avant de philosopher, il faut vivre ; et la vie exige que nous mettions des œillères, que nous regardions non pas à droite, à gauche ou en arrière, mais droit devant nous dans la direction où nous avons à marcher. (...) Auxiliaire de l’action, [la perception] isole, dans l’ensemble de la réalité, ce qui nous intéresse ; elle nous montre moins les choses mêmes que le parti que nous en pouvons tirer. Par avance elle les classe, par avance elle les étiquette ; nous regardons à peine l’objet, il nous suffit de savoir à quelle catégorie il appartient. Mais, de loin en loin, par un accident heureux, des hommes surgissent dont les sens ou la conscience sont moins adhérents à la vie. La nature a oublié d’attacher leur faculté de percevoir à leur faculté d’agir. Quand ils regardent une chose, ils la voient pour elle, et non plus pour eux. Ils ne perçoivent plus simplement en vue d’agir ; ils perçoivent pour percevoir, — pour rien, pour le plaisir. Par un certain côté d’eux-mêmes, soit par leur conscience soit par un de leurs sens, ils naissent détachés ; et, selon que ce détachement est celui de tel ou tel sens, ou de la conscience, ils sont peintres ou sculpteurs, musiciens ou poètes. C’est donc bien une vision plus directe de la réalité que nous trouvons dans les différents arts ; et c’est parce que l’artiste songe moins à utiliser sa perception qu’il perçoit un plus grand nombre de choses.
            Eh bien, ce que la nature fait de loin en loin, par distraction, pour quelques privilégiés, la philosophie, en pareille matière, ne pourrait-elle pas le tenter, dans un autre sens et d’une autre manière, pour tout le monde ? Le rôle de la philosophie ne serait-il pas ici de nous amener à une perception plus complète de la réalité par un certain déplacement de notre attention ? Il s’agirait de détourner cette attention du côté pratiquement intéressant de l’univers et de la retourner vers ce qui, pratiquement, ne sert à rien. Cette conversion de l’attention serait la philosophie même. »
Henri Bergson, La pensée et le mouvant, V, Ière conférence (26 mai 1911)
(Paris, P.U.F. Quadrige, 1990, p. 152-153)
 

Publié dans Perception

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J
<br /> <br /> Le monde de l’illusion possède un pouvoir de fascination qui nous empêche de voir la réalité comme elle se présente. Son pouvoir est dû à notre pensée fragmentaire. Pour résoudre ce problème nous<br /> devons apprendre à sortir de ce mode de fonctionnement mental habituel et percevoir, de manière plus ouverte et plus intuitive, ce qui se cache derrière le monde des apparences. Cet exercice<br /> exige une approche complètement différente de notre manière actuelle de discerner ce qui nous entoure, mais nécessite surtout une remise en question de nos certitudes afin d’être réellement en<br /> mesure de vérifier leur exactitude. Il s’avère que beaucoup ne désirent pas vraiment renoncer à leurs convictions et à leurs habitudes. "C’est surtout ce manque de volonté de changement qui<br /> conduit l’homme à persévérer dans le trompeur et l’irréel." (Alex Mero)<br /> <br /> <br /> <br />
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H
avant tout il faut vivre, c'est vrai ! souvent grâce à la philosophie nous arrivons à  voir les choses plus profondement, voir plus loins, voir autrement... et survivre ;)
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